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B.a.-Ba de l’économie du livre numérique (et la raison de son échec commercial)

Dans l’histoire du commerce et des échanges, une loi prévoit que la disponibilité et la facilité d’accès à un produit prime toutes ses autres qualités—couramment dite loi du moindre effort. Un consommateur optera toujours pour l’offre qui lui garantie satisfaction au prix d’un effort minimum. C’est ce qu’on appelle la commodité.

La commodité est une notion de l’économie. Une propriété extrinsèque des produits, qu’il convient pourtant d’accepter comme une branche parente de l’ergonomie. Elle est, en fait, si étroitement liée à l’expérience de l’utilisateur qu’il est parfois impossible de les partager ; d’autant impossible que, lorsque le gain de commodité est substantiel, c’est la commodité elle-même qui devient sa propre justification (par phénomène d’hystérèse).

La commodité d’un produit ne dit rien de sa qualité, ni de sa rareté, ni de son prix. Elle mesure le degré d’optimisation d’un circuit logistique de distribution ; c’est un indice de proximité entre un produit et son consommateur—et plus le produit est proche, plus la jouissance de ce produit est proche.

En essence, le cas du livre n’est pas différent de celui de n’importe quel produit qu’on dématérialise : la numérisation constitue en soi un gain de commodité considérable. Dans les faits, il est une exception. Pis encore, il apparaît que l’essor, somme toute éphémère, du livre numérique con­firme en réalité la politique de prix aggressive menée par le géant Amazon (entre 2010 et 2014), à la faveur de laquelle l’entreprise assit sa position dominante, quasi hégémonique, dans l’édition.

La stratégie a laissé son empreinte : dans l’esprit des consommateurs, le livre numérique est une solution économique ; c’est donc la raison économique qui les y intéresse, et par le prisme économique qu’ils jugent. — Aujourd’hui, le livre numérique a perdu son avantage comparatif. Et, plutôt que d’avoir séduit les lecteurs, plutôt que d’avoir convaincu les auteurs, plutôt que de s’être imposé en concurrence de l’édition traditionnelle, il s’est resserré sur sa clientèle captive, conquise par le format, alors qu’il avait la typographie pour plaire.

Le marché actuel du livre numérique n’est pas homogèneLecteurs ne disposant pas d’autre circuit de distribution que le réseau internet ; lecteurs appréciant la possibilité de grossir la taille des caractères, les fonctions de recherche ou les dictionnaires intégrés ; lecteurs se plaisant à avoir une bibliothèque « dans la poche » pour le poids inférieur à celui d’un livre ordinaire, &c…, il est la somme de segments périphériques agrégés autour d’une solution commune : la technologie.

Personne ne s’intéresse au livre numérique pour la qualité de lecture—ce qui signifie, tout d’abord, que les attentes en matière de typographie sont inexistantes, et, pour cette raison, ensuite, que la typographie n’est pas, d’un point de vue de constructeur, une priorité.

Convaincre les auteurs n’en était pas une non plus.

La tragédie du livre numérique aura été de s’être trompé de cœur de cible. Après une percée artificielle, il est retourné à l’état de commodité pratique. Il s’est retiré dans une sorte d’existence parallèle dans la périphérie de son marché naturel, se reposant sur son confortable monopole technologique, depuis laquelle il entreprendra désormais de grignoter des parts vers le centre. — Comment ? — Eh bien ! en multipliant les fonctions accessoires jusqu’à con­vaincre la dernier réfractaire. C’est la logique de la stratégie. Les livres numériques seront étanches à trois cents mètres avant de fournir des lectures plaisantes. La seule solution serait de changer la perception du grand public sur le livre numérique—ce qui serait coûteux. Le livre numérique est un livre mieux que les autres.

C.Q.F.D.