Je gage que voilà une éveillée qui vient pour m’affriander d’elle. Néant !
C’est donc vous, Monsieur, qui êtes l’amant de Mademoiselle Silvia ?
Oui.
C’est une très-jolie fille.
Oui.
Tout le monde l’aime.
Tout le monde a tort.
Pourquoi cela, puisqu’elle le mérite ?
C’est qu’elle n’aimera personne que moi.
Je n’en doute pas, et je lui pardonne son attachement pour vous.
À quoi cela sert-il, ce pardon-là ?
Je veux dire que je ne suis plus si surprise que je l’étois de son obstination à vous aimer.
Et en vertu de quoi êtiez-vous surprise ?
C’est qu’elle refuse un prince aimable.
Et quand il seroit aimable, cela empêche-t-il que je ne le sois aussi, moi ?
Non : mais enfin, c’est un prince.
Qu’importe ? En fait de fille, ce prince n’est pas plus avancé que moi.
À la bonne heure. J’entens seulement qu’il a des sujets et des États, et que, tout aimable que vous êtes, vous n’en avez point.
Vous me la baillez belle avec vos sujets et vos États ! Si je n’ai pas de sujets, je n’ai charge de personne, et si tout va bien, je m’en réjouis ; si tout va mal, ce n’est pas ma faute. Pour des États, qu’on en ait ou qu’on n’en ai point, on n’en tient pas plus de place, et cela ne rend ni plus beau, ni plus laid. Ainsi, de toutes façons, vous étiez surprise à propos de rien.
Voilà un vilain petit homme : je lui fais des compliments, et il me querelle.
Hem ?
Il est vrai que la vôtre m’a trompé ; et voilà comme on a souvent tort de se prévenir en faveur de quelqu’un.
Oh ! très-fort ! Mais que voulez-vous ? je n’ai pas choisi ma physionomie.
Non, je n’en sçaurois revenir, quand je vous regarde.
Me voilà pourtant, et il n’y a point de remede je serai toujours comme cela.
Oh ! j’en suis persuadée.
Par bonheur, vous ne vous en souciez gueres ?
Pourquoi me demandez-vous cela ?
Eh ! Pour le sçavoir.
Je serais bien sotte de vous dire la vérité là-dessus, et une fille doit se taire.
Comme elle y va !… Tenez, dans le fond, c’est dommage que vous soyez une si grande coquette.
Moi ?
Vous-même.
Sçavez-vous bien qu’on n’a jamais dit pareille chose à une femme, et que vous m’insultez ?
Point du tout. Il n’y a point du mal à voir ce que les gens nous montrent. Ce n’est point moi qui ai tort de vous trouver coquette ; c’est vous qui avez tort de l’être, Mademoiselle.
Mais par où voyez-vous donc que je le suis ?
Parce qu’il y a une heure que vous me dites des douceurs, et que vous prenez le tour pour me dire que vous m’aimez. Écoutez, si vous m’aimez tout de bon, retirez-vous vite, afin que cela s’en aille, car je suis pris, et naturellement je ne veux pas qu’une fille me fasse l’amour la première ; c’est moi qui veut commencer à le faire à la fille : cela est bien meilleur. Et si vous ne m’aimez pas, eh ! fy ! Mademoiselle, fy ! fy !
Allez, allez, vous n’êtes qu’un visionnaire.
Comment est-ce que les garçons, à la Cour, peuvent souffrir ces manieres-là dans leurs maîtresses ? Par la morbleu ! qu’une femme est laide quand elle est coquette !
Mais, mon pauvre garçon, vous extravaguez.
Vous parlez de Silvia : c’est cela qui est aimable ! Si je vous contois notre amour, vous tomberiez dans l’admiration de sa modestie. Les premiers jours, il falloit voir comme elle se reculoit d’auprès de moi, et puis elle reculoit plus doucement, et puis, petit à petit, elle ne reculoit plus ; ensuite elle me regardoit en cachette, et puis elle avoit honte quand je l’avois vû faire, et puis moi j’avois un plaisir de roi à voir sa honte ; ensuite j’attrapois sa main, qu’elle me laissoit prendre, et puis elle étoit encore toute confuse, et puis je lui parlois ; ensuite elle ne me répondoit rien, mais n’en pensoit pas moins ; ensuite elle me donnoit des regards pour des paroles, et puis des paroles qu’elle laissoit aller sans y songer, parce que son cœur alloit plus vite qu’elle ; enfin, c’était un charme : aussi j’étois comme un fou. Et voilà ce qui s’appelle une fille ! Mais vous ne ressemblez point à Silvia.
En vérité, vous me divertissez, vous me faites rire.
Oh ! pour moi, je m’ennuye de vous faire rire à vos dépens. Adieu ! si tout le monde étoit comme moi, vous trouveriez plutôt un merle blanc qu’un amoureux.
Marivaux,