La défense et illustration de la langue française
Livre premier
Tractatus Logico-PhilosophicusLogicsh-philosophische Abhandlung
Que la Langue Françoye ne doit etre nommée barbare.
OUR commencer donques à entrer en matiere, quand à la gnificatiõ de ce mot Barbare : Barbares anciẽnement etoint nõmez ceux, ĩeptemẽt loint Grec. Car cõme les etrãgers venans à Athenes ’efforcoint de parler Grec, ilz tũboint ouuẽt en cete voix aburde βάρϐαρας. Depuis les Grecz trãportarent ce nõ aux meurs brutaux, & cruelz, appellant toutes nations hors la Grece, Barbares. Ce qui ne doit en riẽ diminuer l’excellẽce de notre Langue : veu cete arrogãce Greque, admiratrice eulemẽt de es inuentiõs, n’auoit loy ny priuilege de legitimer ain a Nation, & abatardir les autres : comme Anarchars dioit, que les Scythes etoint Barbares entre les Atheniens, mais les Atheniens au entre les Scythes. Et quand la barbarie des meurs de notz Ancétres eut deu les mouuoir à nous apeller Barbares, et ce, que ie ne voy point, pourquoy on nous doiue maintenant etimer telz : veu qu’en ciuilité de èurs, equité de loix, magnanimité de couraiges, bref en toutes formes, & manieres de viure non moins louables, que fitables, nous ne ommes rien moins qu’eux : mais bien plus, veu qu’ilz ont telz maintenant, que nous les pouuons iutement apeller par le nom, qu’ilz ont donné aux autres. Encores moins doit auoir lieu, de ce que les Romains nous ont appellez Barbares, veu leur ambition, & inatiable faim de gloyre : qui tachoint non eulement à ubiuguer, mais à rendre toutes autres nations viles, & abiectes aupres d’eux : principalement les Gauloys, dont ilz ont receu plus de honte, & dommaige, que des autres. A ce propos, ongeant beaucoup de oys, d’ou viẽt que les getes du peuple Romain, ont tãt celebrés de tout le Mõde, voyre de long interuale ferés, à ceux de toutes les autres Natiõs enemble, ie ne treuue point pl° grande raion que cete cy : c’et que les Romains ont eu grande multitude d’Ecriuains, que la plus part de leur getes (pour ne dire pis) par l’Epace de tant d’années, ardeur de batailles, vatité d’Italie, incurõs d’etrãgers, ’et cõeruée entiere iuques à notre tens. Au contraire les faiz des autres nations ngulierement des Gauloys, auant qu’ilz tumbaent en la puyance des Francoys, & les faiz des Francoys memes depuis qu’ilz ont dõné leur nom aux Gaules, ont été mal recueilliz, que nous en auons qua perdu non eulement la gloyre, mais la memoyre. A quoy à bien aydé l’enuie des Romains, qui comme par vne certaine coniuration conpirant contre nous, ont extenué en tout ce qu’ilz ont peu, notz louanges belliques, dont ilz ne pouuoint endurer la clarté : & non eulement nous ont fait tort en cela, mais pour nous rẽdre encor’ plus odieux, & contemptibles, nous ont apellz brutaux, cruelz, & Barbares. Quelqu’vn dira, pourquoy ont ilz exempté les Grecz memes, dont ilz auoint emprunté tout ce, qu’ilz auoint de bon, au moins quãd aux Sciẽces, & illutration de leur Langue. Ces rayons me emblẽt uffiantes de faire entendre à tout equitable Etimateur des choes, que notre Langue (pour auoir eté nõmes Barbares ou de noz ennemys, ou de ceux, qui n’auoint Loy de nous bailler ce Nom) ne doit pourtant etre depriée memes de ceux, aux quelz elle et pre, & naturelle : & qui en riẽ ne ont moindres, les Grecz, ou Romains.
Pourquoy la Langue Françoye n’et i riche que la Greque, Latine.
t notre Lãgue n’et copieue, & riche la Greque, ou Latine, cela ne doit etre imputé au default d’icelle, comme d’elle meme elle ne pouuoit iamais etre non pauure, & terile : mais bien on le doit attribuer à l’ignorance de notz maieurs, qui ayans (comme dict quelqu’vn, parlant des anciens Romains) en plus grande recommandation le bien faire, que le bien dire, & mieux aymans laier à leur poterité les exemples de vertu, les preceptes : e sont priuez de la gloyre de leurs bien faitz, & nous du fruict de l’immitation d’iceux : & meme moyen nous ont laié notre Langue pauure, & nue, qu’elle a beoing des ornemẽtz, & (’il fault ain parler) des plumes d’autruy. Mais voudroit dire la Greque, & Romaine euent touiours eté en l’excellẽnce qu’on les a vues du tens d’Homere, & de Demothene, de Virgile, & de Ciceron ? Et ces aucteurs euent iugé, iamais pour quelque diligẽce, & culture, qu’on y eut peu faire, elles n’euent ceu produyre plus grand fruict, e feuent ilz tant eforcez de les mettre au pont, ou nous les voyons maintenant ? Ain puys-ie dire de notre Langue, qui commence encores à fleurir, ans fructifier : ou plutot comme vne plante, & Vergette, n’a point encores fleury, tant e fault qu’elle ait apporté tout le fruit, qu’elle pouroit bien produyre. Cela certainement non pour le default de la Nature d’elle ausi apte à engendrer, que les autres : mais pour la coulpe de ceux, qui l’õt euë en garde, & ne l’ont cultiuée à uffiance : ains comme cne plante auuaige, en celuy memes Deert, ou elle auoit commencé à naitre, ans iamais l’arroer, la tailler, ny defendre des Ronces, & Epines, qui luy faioit vmbre, l’ont laié enuieillir, & qua mourir. Que les anciens Romains euent eté ausi negligés à la culture de leur Langue, quand premierement elle commẽça à pululer, pour certain en peu de tens elle ne feut deuenue grande. Mais eux en guie de bons Agriculteurs, l’ont premierement tranmuée d’vn lieu auuaige en vn dometique : puis affin que plus tot, & mieux elle peut fructifier, coupant à l’entour les inutiles rameaux, l’ont pour echãge d’iceux retaurée de Rameaux francz, & domestiques magistralement tirez de la Langue Greque, les quelz oudainement e ont bien entez, & faitz emblables à leur tronc, que deormais n’apparoient plus adoptifz, mais naturelz. De la ont nées en la Langue Latine ces fleurs, & ces fruictz colorez de cete grande eloquence, auecques ces nombres, & cete lyaion artificielle, toutes les quelles choes non tant de a propre nature, que par artifice toute Langue a coutume de profuyre. Donques les Grecz, & Romains plus diligens à la culture de leurs Langues que nous à celle de la notre, n’ont peu trouuer en icelles non auecques grand labeur, & indutrie ny grace, ny Nombre, ny finablement aucune eloquence, nous deuons nous emerueiller notre vulgaire n’et riche comme il pourra bien etre, & de la prendre occaion de le meprier cõme choe vile, & de petit prix ? Le tens viendra (peut etre) & ie l’epere moyẽnant la bõne detinée Françoye, que ce noble, & puiant Royaume obtiẽdra à on tour les renes de la monarchie, & que notre Langue, ( auecques Françoys n’et du tout eneuelie la Langue Françoye) qui commence encor’ à ieter es es racines, ortira de terre, & ’eleuera en telle hauteur, & groeur, qu’elle e poura egaler aux memes Grecz & Romains, produyant comme eux, des Homeres, Demothenes, Virgiles, & Cicerõs, ausi bien que la France a quelquesfois produit des Pericles, Nicies, Alcibiades, Themitocles, Cears, & Scipions.
Que la Langue Françoye n’et i pauvre que beaucoup l’etiment.
Que les Traductions ne ont uffiantes pour donner perfection à la Langue Françoye.
Des mauuais Traducteurs, de ne traduyre les Poëtes.
Comment les Romains ont enrichy leur Langue.
D’amplifier la Langue Françoye par l’immitation des anciens Aucteurs Grecz, Romains.
Joachim du Bellay, La Deffence et illustration de la Langue Françoyse, 1549.