Oni est une famille de caractères conçue et optimisée pour le confort de lecture en (très) basse résolution.
Il existe un adage, tenace chez les typographes, selon lequel les lettres brisées, dites
L’écriture gothique crût sur le cours du parchemin à l’ombre des scriptoria : les moines s’épargnaient l’œil et la plume en noircissant les lettres à mesure qu’ils contractaient leur écriture pour économiser les pages. C’est audit processus qu’elle doit son appellation anglophone,
L’histoire de la didone est toute autre. Complice de la rupture classique et des imprimeurs dans une ère d’opulence et d’innovation qu’elle cristallise, elle servit de prétexte pour éprouver de poinçons—toujours plus fins—les encres et les papiers—toujours plus fins—et les paires d’yeux, pour le plus grand bonheur des
Voici donc deux familles typographiques, qui n’ont rien d’autre en commun qu’une mauvaise réputation,
La bonne lecture d’un caractère demande rythme et contraste : deux qualités héritées du tracé manuel. C’est pourquoi l’on peut lire mon écriture ; c’est pourquoi l’on peut lire la vôtre.
C’est pourquoi l’on peut lire Oni.
Conscient de l’obstacle auquel je serais inévitablement confronté, j’ai construit une famille de caractères sur la base du rythme et du contraste—avant toute volonté quelconque de vraisemblance des caractères. Raison pour laquelle je trouvai sa première inspiration dans l’écriture manuelle.
Par contrainte commune—l’économie d’espace—, je trouvai sa première influence dans la calligraphie gothique.
La calligraphie, littéralement la belle écriture, est
En resserant leur écriture, les moines avaient démontré la relation étroite qui lie la taille d’un caractère et la noirceur nécessaire à sa lecture. Suivant leurs enseignements, je massai les noirs sur le corps rigide des lettres, faisant circuler autour d’elles les vides jusqu’à l’obtention d’un gris typographique homogène.
Cependant, il y a entre la calligraphie gothique et Oni une différence de nature : Oni est une famille de caractères numérique. La trajectoire des moines était théoriquement infinie ; ils auraient pu resserer encore leur écriture, et encore—tailler des plumes plus fines, diluer les encres et insister qu’on les lût à la loupe… Oni était déjà au minimum de sa taille, au pixel près. Plus de contraction possible sans déformer les caractères.
C’est une distinction nécessaire qu’il me faut préciser avant de poursuivre : les petites polices, ni les petites écritures ne sont des caractères de basse résolution. Au contraire, les nuances de leurs dessins, précieuses sur le papier, contribuent au bruit que génèrent ce type de caractères dès lors qu’ils sont affichés sur des écrans en basse définition.
Le Times New Roman est un exemple de police conçue pour être lue en petits caractères. Commandé par le journal éponyme pour des raisons économiques au début de la Dépression, il est aujourd’hui difficile de discerner s’il doit son succès à ses vertus ou à son omniprésence. C’est un caractère étroit, particulièrement en gras, son italique est atroce ; mais dans les colonnes d’un journal, il brille par sa clareté. En basse résolution, son rendu n’est pas supérieur à celui de n’importe quelle autre fonte.
Il y a une limite physiologique à ce que l’œil est capable de lire, et une limite à la quantité d’effort qu’un lecteur consent à fournir à son loisir. Aussi, la véritable contrainte du Times New Roman, comme celle de l’écriture manuscrite gothique, était l’observateur. C’est toute la différence avec une police de basse résolution, dont la contrainte fondamentale réside dans son support.
Les polices de basse résolution sont au moins aussi nombreuses que les polices optimisées pour les petits caractères, mais pour les soucis de la démonstration, je m’en tiendrai à la police système du micro-ordinateur Apple II.
Je n’ai rien de mauvais à dire de FontChar21 : c’est une police merveilleuse et étonnamment plaisante à lire, quoique le court échantillon ci-dessus suffit à constater les faiblesses du caractère sur une lecture au long court. Elle souffre beaucoup d’être une police à chasse fixe (chaque glyphe est de largeur identique) : elle manque cruellement de frappe et de contraste
Aurait-elle été proportionnelle que cela n’y a aurait rien fait. Les polices numériques les plus primitives, à l’instar des polices bitmap, ne sont pas tellement des polices de basse résolution. Aussi rudimentaires fussent les premiers ordinateurs personnels, leurs écrans étant largement capables d’afficher de grands caractères. Il était, en outre, possible d’exploiter la technologie cathodique et de subdiviser les pixels en trois composantes chromatiques (rouge, vert et bleu) pour affiner le rendu typographique. FontChar21 n’est ni la plus grande ni la plus détaillée des fontes bitmap, il n’en reste pas moins qu’à comparaison à pixel égal avec Oni et Oni-minot, elle passe pour une géante.
La décision de faire d’Oni une famille de caractères cursive se justifiait par l’universalité du tracé manuel. En fondant les caractères sur la base commune de votre écriture et de la mienne, je favorisais une lecture sur le rythme des lettres plutôt que sur leurs formes. Je m’autorisais également une plus grande liberté plastique des caractères.
Ce dernier point est essentiel puisqu’avant d’adopter sa forme définitive, il fut nécessaire de réduire Oni—que je jugeais trop grand—, tout en évitant les déformations énoncées plus haut.
Je décidai d’éliminer complètement la partie
En fait de sacrifice, ce que je perdais à la base des caractères je déplaçais à hauteur d’x—où se pose naturellement le regard du lecteur ( fig. 2 ). J’augmentai également les formes descendantes.
La dernière astuce aura été de poursuivre l’approche iconoclaste des didones, qui n’existèrent que pour dépasser les contraintes. Je m’inspirais de leur fort contraste pour le pousser à son maximum. Les caractères tenant depuis l’intérieur par le vide interne de leurs contreformes, les déliés—toujours plus fins—ne seraient plus que suggérés, laissant le cerveau relier les points, à la manière d’une illusion d’optique.
consistent and uniform
Lorsque j’entrepris la création d’Oni. Il n’existait, à ma connaissance, aucune police de caractères optimisée pour la lecture en (très) basse résolution, et la densité de pixels croissante de nos dispositifs semblait décourager définitivement les initiatives.
On trouve bien des caractères qui feignent par leur esthétique les contraintes des processeurs 8 bits, mais ce sont avant tout des productions fantaisistes, inacceptables pour une lecture prolongée.
Entendu que les petites polices, ni les polices bitmap ne sauraient (malgré les apparences) être des références, je trouvais une parenté moins évidente chez les lettres brisées et les didones. Descendance improbable de deux familles que tout oppose, Oni s’incrit, l’espace d’un clin d’œil à l’adresse des typographes, dans la longue histoire de l’écriture depuis la plume jusqu’à l’écran ; tout nouveau qu’il soit, il reste un caractère familier et accessible. Grand public.
Oni est livré en deux tailles : Oni et Oni‑minot.
J’ai dessiné Oni pour répondre aux contraintes d’affichage des prothèses rétiniennes artificielles. Soit qu’il était trop grand, soit que les électrodes qui composent ces prothèses étaient en trop petit nombre pour l’employer convenablement, je lui dessinai un compagnon : Oni‑minot, le plus petit caractère au monde.
À ce jour, la technologie des prothèses rétiniennes est encore trop jeune pour se prêter sérieusement aux loisirs de la lecture. Il ne fait pas de toute que les innovations prochaines tendront à rendre Oni obsolète ; il n’en reste pas moins que le besoin actuel justifiait amplement une fonte, (et même deux).
thank you anyway !