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Simboliqe religieuse Cours d’istoire universèle professé à l’otel de ville de Paris Simboliqe religieuseCours d’istoire universèle professé à l’otel de ville de Paris
les lois éternelles

C’est chez les Grecs qe le poli­téisme a trou­vé sa forme la plus par­faite, mais le sanskrit, qi est la langue des aînés de notre race, a conser­vé la plus an­ciène ex­pres­sion du di­vin. Les Aryas de l’In­de invo­qaient les Dé­vas, c’es­t-à-dire les Lu­mières, de la ra­cine div, bril­ler. Ce mot se re­trouve dans le latin di­vus, qi a le sens de di­vin, et dans le grec δῖοςdîos, qi si­gni­fie bril­lant, il­lustre ; mais c’est à tort qe les lin­guistes ont vou­lu rata­cher le mot ΘεόςTheós à la même ra­cine. Omère dit sou­vent δῖα θεαῶνdîa theaôn, la bril­lante ou il­lustre Déesse, il ne dit pas θεῖα θεαῶνtheîa theaôn, la di­vine Déesse, ce qi se­rait un pléo­nasme. La véri­table éti­mo­lo­gie du mot grec ΘεόςTheós a été do­née par Èro­dote. Se­lon lui, les Pé­las­ges, les Grecs pri­mi­tifs, avant de co­naître les noms propres des Dieus, les ape­laient en gé­né­ral θεούςtheoús, c’est-à-dire les ordo­na­teurs, les lois, à cause de l’ordre q’ils éta­blissent dans l’uni­vers, ὡς ϰόσ­μῳ θέντες τὰ πάνταhōs kósmōi théntes tá pánta. La ra­cine de θεόςtheós est donc θέωthéō, τίθημι,títhēmi​ éta­blir, po­ser, fon­der, ré­gler, d’où on peut tirer aus­si ΘέμιςThémis, le prin­cipe de l’ordre, θεσμόςthesmós, la règle éta­blie, θητέςthễtés, les tra­vail­leurs qi consti­tuent la cité, ΘησεύςThēseús, nom propre du fon­da­teur de la dé­mo­cra­cie d’Athènes. La no­cion de l’ordre uni­ver­sel est par­ti­cu­lière à la Grèce. Dans l’alter­nance ré­gu­lière des sai­sons, dans l’éter­nèle sin­fo­nie du Cos­mos, les Grecs trou­vèrent la ré­vé­la­cion de la loi. Les Olym­piens ne sont pas les lu­mières du ciel, come les Dieus vé­diqes, ils sont les lois d’ordre, de pro­por­cion et d’ar­mo­nie qi se ré­ve­lent à nos sens par la beau­té, à notre es­prit par la jus­tice. C’est la reli­gion qi conve­nait à une race ar­tiste et répu­bli­caine. L’art grec et la mo­rale grèqe sont les consé­qences ma­gni­fiqes des prin­cipes fon­da­men­taus de l’El­lènisme, la plu­ra­lité des causes, l’indé­pen­dance des forces et l’ar­mo­nie des lois.

Les causes in­co­nues qi sont à la fois les lois fi­siqes du monde et les lois mo­rales des so­cié­tés, l’ome les conçoit à son image parce q’il trouve en lui le tipe d’une vo­lon­té libre, d’une loi qi se co­naît èle­même. Ain­si, au lieu de cher­cher, come en Orient, un idéal di­vin dans la na­ture exté­rieure ou au-des­sus d’èle, l’ome le trouve en lui­même. Cet idéal, qi se ré­vèle aux sens par la beau­té, à l’es­prit par la conscience du droit, il en re­vêt, come d’un man­teau de lu­mière, les prin­cipes ca­chés de l’ordre uni­ver­sel, qi sont les Dieus, c’est ce qe la langue filo­so­fiqe apè­le antro­po­mor­fisme. Entre les Dieus et l’ome, la mort met un abîme qi semble in­fran­chis­sable ; mais la reli­gion grèqe comble cet abîme par le dogme ras­su­rant de l’apo­téose. La Grèce avait un sen­ti­ment trop pro­fond de la di­gni­té umaine pour ne pas dé­ve­lo­per cette noble croyance de l’im­mor­ta­lité de l’âme qi, par le culte des morts, ra­tache le pré­sent et l’ave­nir au pas­sé. Tan­dis qe les pa­triarches bi­bliqes s’en­dor­ment à côté de leurs pères, les hé­ros grecs conservent au-delà du tom­beau une vie indé­pen­dante. Pro­tec­teurs des fa­milles, gar­diens vigi­lants des ci­tés, ils veillent sur leurs descen­dants, et le peuple qi les in­voqe le ma­tin des ba­tailles onore leurs tom­beaus come des temples et mèle leurs louanges à celles des Dieus.

On a cru long­temps qe les reli­gions étaient l’œuvre des prêtres et qe la téo­cra­cie ré­pon­dait à l’en­fance des so­cié­tés. C’est une double er­reur qe l’étude scien­ti­fiqe des reli­gions ne per­met plus de sou­te­nir. La fa­mille est la mo­lé­cule de toutes les so­cié­tés umaines ; ce q’on trouve à l’ori­gine de l’is­toire des peuples, ce n’est pas la téo­cra­cie, c’est l’état pa­triar­cal. Les reli­gions ne sont pas plus l’œuvre qe les lan­gues ne sont cèle des gram­mai­riens. L’ima­gi­na­cion po­pu­laire a créé la mi­to­lo­gie, langue na­tu­rèle des reli­gions, come èle a créé la langue gram­ma­ti­cale. Spon­ta­né­ment, come l’oi­seau chante, èle done aus croyances nais­santes la forme poé­tiqe du sim­bole, come èle ex­prime par des images les idées gé­né­rales qi s’éveillent dans l’es­prit au contact des apa­rences. La tra­di­cion main­tient les formes du culte et les trans­met d’une gé­né­ra­cion à l’autre. La di­rexion du culte pri­vé apar­tient au chef de la fa­mille ; le dé­pôt des rites tra­di­cio­nels ­du culte pu­blic est confié au sa­cer­doce qi par­tout, ex­cep­té dans la Grèce an­tiqe, forme un corps spécial dans l’État. Tan­tôt le sa­cer­doce se trans­met de père en fils, sans cer­taines fa­milles pri­vilé­giées qi for­ment une caste éré­di­taire, les Brah­manes dans l’In­de, les Mages en Perse, les Chal­déens à Ba­by­lone, les Lé­vites en Ju­dée ; tan­tôt il se re­crute par l’ini­cia­cion in­divi­due­le, come dans le Boud­hisme et le Chris­tia­nisme. Chez les Ro­mains, la di­rexion du culte pu­blic apar­te­nait aus chefs de fa­mille ; en Grèce, cete fonxion était rem­plie par les ma­gis­trats en exer­cice. Il i avait des sa­cris­tains, ίερεῖςiereís, il n’i avait pas de prêtres. En ré­dui­sant le sa­cer­doce à son véri­table rôle, la garde des tradi­cions, l’en­tre­tien des temples et l’acom­plis­se­ment des cé­ré­mo­nies du culte pu­blic, les Grecs ont écar­té le dan­ger des lutes reli­gieuses. Il n’i a pas trace, dans toute l’is­toire grèqe, d’une faxion sa­cer­do­tale, il n’i avait pas d’éré­sie, parce q’il n’i avait pas d’or­to­doxie. Les mo­dernes ne se fi­gurent pas fa­cile­ment une reli­gion sans église et sans livres sa­crés, ou le dogme, éclos spon­ta­né­ment dans la pen­sée po­pu­laire, était livré dans son ex­pres­sion à la fan­tai­sie arbi­traire des poètes, les pre­miers téo­lo­giens de l’El­lènisme, et dans son in­ter­pré­ta­cion aus sis­tèmes des filos­fes, ses der­niers iéro­fan­tes ; une reli­gion mo­bile, va­riant d’une com­mune à l’autre, ou le culte ré­glé par l’État, c’es­tà­dire par le peuple, puisqe la Grèce fut tou­jours répu­bli­caine, consis­tait en sacri­fices, en luttes gim­niqes et en re­pré­sen­ta­cions scé­niqes où les Dieus jouaient un rôle et per­mè­taient aus poètes co­miqes de rire à leurs dé­pens sans le moindre soup­çon d’im­pié­té. Pour ju­ger une reli­gion si opo­sée à nos abi­tu­des et pour lui rendre la jus­tice à la­qèle a droit toute pen­sée qi a fait vivre l’uma­ni­té pen­dant des siècles, il faut en ob­ser­ver les ré­sul­tats ; l’is­toire nous les montre dans l’art grec, fruit na­tu­rel de la reli­gion de la beau­té, et dans les cités répu­bli­caines où toutes les formes de la li­ber­té furent es­sayées et pra­tiqées, dans ces sé­vères prin­cipes de mo­rale so­ciale qi pro­dui­sirent de si grand omes et, ce qi vaut mieux, de si grands peuples.


simboliqe de l’ellènisme

La mi­to­lo­gie est la langue na­tu­rèle des reli­gions. Sous des formes poé­tiqes et plas­tiqes, èle per­so­ni­fie les Idées mères, ces prin­cipes latents et vir­tuels de toute exis­tence, qi ré­sident au sein de la Nuit pri­mi­tive, mère des Dieus. La science, qi ad­met es mo­lé­cules invi­sibles, mais éten­dues, qi per­so­ni­fie le calo­riqe, qi croit aux deus fluides élec­triqes, qi ex­pliqe la vie mi­né­rale par l’affi­ni­té, come si un mot ex­pliqaut un fait, sou­rit dédai­gneu­se­ment des Grecs, qi rê­vaient une Dryade dans cha­cun des chênes de Do­done et un Nèréi­de dans chaqe flot de la mer: pour­tant les concep­sions an­tiqes ren­fer­ment une no­cion plus juste de la vie uni­ver­selle qe toutes nos abs­traxions mortes, et ont de plus l’avan­tage de four­nir des tipes à la pein­ture et à la sta­tuaire. Se­lon la difé­rence des formes do­nées aus idées on for­mule des lois fi­siqes ou on crée des œuvres d’art. Il est per­mis d’être à la fois de l’avis de Newton et de l’avis de Fi­dias.

Tant qe les dogmes vivent dans la croyance des peuples, les Dieus ont une vie propre aus­si per­sonèle qe cèle de l’ome, qi ne peut les conce­voir q’à son image puisqe l’ome est le tipe d’une force libre et d’une loi consciente. Leurs atri­buts sont mul­ti­ples come nos fa­cul­tés. Ainsi Zeus n’est pas seu­le­ment l’air vital qi nou­rit tout les êtres, le Dieu dont les mile imens se re­trouvent dans les innom­brables com­bi­nai­sons de l’Oxi­gène, le roi de la foudre, qi des­cend en ro­sée bien­fai­sante dans le sein de la tère fé­conde ( conju­gis in gre­mium lac­tae des­cen­dit ), il est aus­si le prin­cipe de l’ordre uni­ver­sel, le vaiqeur des Ti­tans, c’es­tà­dire le mo­dé­ra­teur des forces cos­miqes, et dans un sens plus ex­clu­si­ve­ment mo­ral, le prin­cipe de la jus­tice, base de toute so­cié­té, source de toute ver­tu. La foi naïve des races jeunes se content du côté poé­tiqe des sim­boles. Qand le peuple d’Athènes allait en pé­leri­nage au temple des Grandes Déesses d’Éleu­sis, les poètes lui racon­taient l’en­lè­ve­ment de Corè par Aïdes, la dou­leur de sa mêre et le re­tour de Corè à la lu­mière cé­leste. Cette lé­gende sufi­sait au peuple, qi se reti­rait en re­mer­ciant la Mère bien­fai­sante à la­qèle il de­vait le blé, nou­ri­cier de l’ome. Mais il i av ait aus­si des es­prits in­qiets de la des­ti­née hu­maine ; pour eus, Corè n’était pas seu­le­ment la vé­gé­ta­cion, fille de la tère, qi meurt pen­dant l’hi­ver pour res­su­ci­ter au prin­temps ; c’était l’âme qi re­trouve une vie nou­vèle au­de­là du tom­beau. Au der­nier acte de l’ini­cia­cion, l’ié­ro­fante mon­trait aux mistes un épi de blé cou­pé en si­lence, gage des pro­messes di­vines, sim­bole de re­nais­sance et d’im­mor­ta­li­té.

Qand les races vieil­lissent, l’es­prit se sé­pare du corps, l’idée, pour se dé­ga­ger, re­jète l’image, la science brise l’urne du sim­bole où s’abreu­vaient les peuples jeunes et forts. En qi­tant leur en­ve­lope de poé­sie, les véri­tés d’in­tui­cion ar­rivent à la conscience d’èles­mêmes. Es­t-ce une mort, es­tce une résur­exion ? Qand l’er­mé­neu­tiqe stoï­ciène dé­cou­vrait un sis­tème de fi­siqe reli­gieuse dans l’El­lènisme, qi était vi­vant à cette époqe, on lui ob­jec­tait qe les prières dans les temples s’adres­saient, non à des sim­boles, mais à des réali­tés ; la même ob­jexion m’a été faite qand j’ai mon­tré un psi­co­lo­gie reli­gieuse dans la mi­to­lo­gie cré­tienne. On évite d’apliqer à une reli­gion vi­vante le scal­pel q’on em­ploie sans scru­pule pour pour une reli­gion morte ; ce n’est plus de l’ana­to­mie, c’est de la vivi­sexion, et on craint d’en­tendre des plaintes, come une vois d’Amadryade s’exa­lant du chêne dont on sou­lève l’écorce. Rassu­rons-nous ; ce n’est pas blas­fémer les Dieus qe de les éle­ver dans la sfère idéale, au-des­sus des formes fugi­tives, des in­car­na­cions pas­sa­gères de leur éter­nèle pen­sée. Les Dieus ne peuvent mou­rir, et qand on croit avoir scèlé la pière de leur sé­pulcre, il res­sus­citent dans leur gloire, come aux jours où de­vant cete éblouis­sante lu­mière du XVIe siècle, le monde à sa­lué la re­nais­sance des an­ciens Dieus.

Louis Ménard, Simboliqe Religieuse, 1898.